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Le Grizzly
27 janvier 2009

JE FAIS MON PEDANT ...

Aujourd'hui, j'aimerais apporter quelques pistes de réflexion concernant ce que je considère comme un chef d'oeuvre de Molière, Dom Juan.


Dom Juan est une comédie. Ca semble évident,mais ça nécessite d'être souligné. Ca signifie que cette pièce de théâtre est non seulement censée finir bien, mais doit également faire rire ou sourire. Or, lorsqu'on lit Dom Juan, on s'aperçoit que cette notion de comédie est loin d'être évidente. En effet, il y a des personnages aux accents tragiques, comme Done Elvire et ses frères, le père de Dom Juan ou bien encore la statue du Commandeur. En outre, peut-on estimer qu'une pièce se finit bien lorsqu'on assiste à la mort du personnage principal sur scène ?

Cette pièce est dite « classique » puisque datée de 1665. Or, au regard du canon dramatique classique, elle est loin de satisfaire aux exigences. Il n'y a pas d'unité de genre. On y retrouve aussi bien de la comédie (Sganarelle), que de la farce (l'acte II avec les paysans), que de la pastorale (l'acte II avec les paysans derechef) ou de la tragédie (les interventions de Done Elvire). Il n'y a pas non plus d'unité de registre. On y retrouve du comique (acte IV scène 3 avec M. Dimanche), du tragique (acte IV scène 4 avec le père de Dom Juan), du pathétique (acte I scène 3 avec Done Elvire) ... Il n'y a pas d'unité de lieu. L'acte I se passe chez Dom Juan, l'acte II se passe à la campagne au bord de l'eau, l'acte III dans une forêt puis dans le tombeau du Commandeur et les actes IV et V chez Dom Juan. Il n'y a pas d'unité de temps, la pièce se déroulant sur plusieurs jours, ni non plus d'action. Il est pour ainsi dire impossible de résumer Dom Juan. Pour ce qui est de la vraisemblance, elle n'existe pas vraiment puisqu'on y trouve une statue qui marche. Quant à la bienséance, elle n'est pas non plus épargnée puisque Dom Juan bafoue allègrement tous ceux qui l'approchent et qu'il va finir par mourir sur scène.

Cette pièce ayant été écrite après l'échec de Tartuffe, on peut se demander si ce n'était pas une provocation de la part de Molière. Pour trouver des éléments de réponse, on va d'abord faire état de quelques remarques.

Tout d'abord, Molière, auteur, metteur en scène, directeur de troupe et acteur se réservait toujours les meilleurs rôles. Et on sait qu'il interprétait Sganarelle et non Dom Juan. Ensuite, ces deux personnages sont sur un pied d'égalité à tous points de vue. Ils dialoguent d'égal à égal même si parfois Dom Juan fait preuve d'autorité (notamment acte I scène 2). Cependant, Dom Juan apparaît dans 25 scènes sur 27 et Sganarelle dans 26. De plus, il ouvre et ferme la pièce. On a donc comme personnage principal éponyme Dom Juan, mais comme personnage important Sganarelle. Ce dernier étant LE personnage comique de l'oeuvre de Molière, on peut donc en conclure que si Molière se le réservait pour les représentations de Dom Juan, c'est bien qu'il comptait mettre en avant la force comique de son personnage fétiche.

Et c'est bien ce qu'on peut voir, par exemple, dans l'acte I. En effet, par sa tirade apparemment hors de propos sur le tabac, Sganarelle s'adresse en réalité au public et non à Gusman, puisqu'à la fin de son laïus, il dit « mais c'est assez de cette matière. Reprenons notre discours. », comme s'il n'était pas encore dans l'histoire et qu'il essayait de proposer un intermède au public avant d'entrer dans le vif du sujet. Il noue donc avec le spectateur un rapport privilégié qui va lui permettre de le rendre complice. Et lorsque Dom Juan nous offre son morceau de bravoure discursif que constitue la tirade sur l'inconstance, Sganarelle reste apparemment sans voix et même lorsque son maître lui demande de parler, il semble ne pas savoir quoi dire, allant même jusqu'à exagérer sa bêtise : « je mettrai mes raisonnements par écrit ». Mais s'il agit ainsi, c'est en réalité pour mieux mettre les rieurs de son côté et renforcer sa complicité avec le public (en effet quoi de plus risible au XVIIe siècle que quelqu'un incapable de soutenir une dispute orale ?) pour ensuite contre-attquer insidieusement et intelligemment et pousser Dom Juan à bout, l'obligeant à faire preuve d'une autorité abusive, preuve ultime de son incapacité à répondre aux arguments de Sganarelle. D'ailleurs, ce dernier, une fois sa victoire acquise va passer sans transition à un tout aure sujet comme si de rien n'était.

On a donc un Sganarelle qui va saper en permanence l'autorité de Dom Juan et transformer ce beau parleur, cet esprit soi-disant libre en une caricature de libertin. Ainsi, dès cette scène 2 de l'acte I, le public, définitivement rangé du côté de Sganarelle (comme il peut l'être au cirque du côté de l'Auguste face au clown blanc) ne peut plus prendre au sérieux ce que dit Dom Juan et si la pièce prend parfois des accents tragiques ou pathétiques, elle n'en reste donc pas moins une comédie grâce à Sganarelle. En outre, le personnage de Dom Juan, devenu haïssable, ne pourra qu'être l'objet d'un rejet de la part du public et sa mort deviendra une fin heureuse et attendue.

Concernant l'absence d'unités en tous genres, elle peut se comprendre si l'on part du principe que Dom Juan est un inconstant (il en fait lui-même l'éloge acte I scène 2). En effet, pour bien souligner ce caractère principal de Dom Juan, Molière a choisi de ne donner aucune constance non plus à sa pièce. C'est une sorte de mise en abyme de cet aspect du personnage qui va papillonner de lieu en lieu, d'aventures en aventures, de personnages en personnages et de genres en genres comme il paipillonne de femmes en femmes.

L'unique unité concerne paradoxalement la constance de Dom Juan. En effet, d'un bout à l'autre de la pièce, il n'aura de cesse de confronter sa vision du monde à la réalité. A l'instar de Descartes, Dom Juan doute de tout. Pour lui, seule compte la raison et tout ce qui n'est pas rationnel n'est pas digne d'intérêt. Prenons la scène du Pauvre, acte III scène 2. Dom Juan peut être considéré comme particulièrement cruel avec ce pauvre homme. En réalité, il pose le problème en ces termes : il n'est pas rationnel de vivre démuni de tout pour prier un dieu qui ne donne rien en retour. On est loin du pari de Pascal. Mais s'il est libertin, Dom Juan est également humaniste puisqu'il finit par donner le louis d'or au pauvre « pour amour de l'humanité » avant d'aller secourir Dom Carlos.

S'il y a donc une unité narrative à la pièce, elle est là : Dom Juan est l'histoire d'un homme dominé par la seule raison et qui, doutant de tout, va confronter sa vision du monde à la réalité pour en trouver les limites. N'en voyant aucune, il ira jusqu'à la mort qu'on peut même estimer être un suicide. Cependant, être gouverné par la raison, si c'est une bonne chose, peut devenir une catastrophe lorsqu'on la laisse dominer jusqu'à nos passions. Et c'est malheureusement ce que fait Dom Juan qui, croyant aimer, ne fait que rationnaliser ses rapports aux femmes, allant jusqu'à les théoriser dans sa tirade sur l'inconstance ou à planifier sa vie sentimentale future à l'acte V scène 2 quand il décide de jouer les faux-dévôts pour mieux jouir sans être inquiété, mais sans se rendre compte non plus, que, ce faisant, il bannit tout sentiment humain de son existence. Et le dénouement, s'il est une juste punition pour le public, peut aussi se comprendre comme la sanction de ce qu'on appellerait aujourd'hui un crime contre l'Humanité.

Dom Juan est donc bien une comédie, puisque Sganarelle y occupe le rôle le plus important et que le méchant finit par être puni, même si, de fait, elle ne correspond pas aux conceptions dramatiques classiques.

Son absence d'unité est là pour souligner à la manière d'une mise en abyme l'inconstance de Dom Juan, tout en mettant en évidence, mais de manière paradoxale, la constance de Dom Juan à transgresser toutes les règles au nom de la raison, tout comme l'auteur transgresse toutes les règles du théâtre classique.

Cette manière de concevoir et la pièce et le personnage ont ainsi permis toutes les interprétations possibles proposées par les mises en scène successives depuis Louis Jouvet au théâtre de l'Athénée jusqu'à celle de Mesguich, chacune reflétant un aspect du personnage selon l'époque dans laquelle s'ancrait la mise en scène. Car, pour conclure, s'il est bien une constante dans cette œuvre c'est sa malléabilité et sa capacité à s'adapter à toutes les époques.

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Commentaires
L
maevina & mam > Merci à vous. Disons que j'étais parti du constat que toutes les mises en scène de "Dom Juan" que j'ai vues ne privilégiaient que ce personnage alors que finalement, si on procède ainsi, on peut difficilement en faire une comédie ce qu'est officiellement "Dom Juan" (c'est écrit sur la page de garde du livre ...). Voilà, voilà ...
M
Purée, mon fils !! C'que t'es balèze toi !! Remarque, c normal vu que tu es mon tout petit d'à moi !! Mais bon, je me garderai bien d'un commentaire plus intellectuel.. lol Gros bisous
M
merci pour cette analyse interessante de la pièce, ça me rajeunit
Le Grizzly
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